VINGT-SEPT
J’ignore ce que Virginia a dit aux autres quand nous sommes retournés dans le virtuel poussé. Je suis resté dans le construct de carto pendant que les autres s’isolaient dans la section hôtel, que je ne pouvais pas m’empêcher d’imaginer à l’étage. Je ne sais pas ce qu’elle leur a dit, et je m’en foutais. C’était un soulagement d’avoir pu raconter toute cette histoire à quelqu’un d’autre.
De ne plus être tout seul.
Les gens comme Isa et Plex en connaissaient des morceaux, bien sûr, et Radul Segesvar un peu plus. Mais pour les autres, la Nouvelle Apocalypse avait caché ce que je faisais dès le début. Ils ne voulaient pas de cette mauvaise publicité, ou de l’interférence de puissances infidèles comme les Premières Familles. Les morts devenaient des accidents, des cambriolages de monastère qui avaient mal tourné, de simples agressions gratuites. Pendant ce temps, Isa me disait qu’on mettait des contrats privés sur ma tête au nom de la Maîtrise. La prêtrise avait un bras armé, mais ne devait pas trop lui faire confiance, parce qu’ils avaient préféré engager quelques assassins clandestins de Millsport. Une nuit, dans une petite ville de l’archipel Safran, j’en avais laissé approcher un suffisamment pour tester le calibre des renforts. Pas franchement impressionnant.
Je ne sais pas ce que Virginia Vidaura a expliqué à ses collègues surfeurs, mais la présence du prêtre à Kem montrait bien qu’on ne pourrait pas rentrer du raid sur Rila Crags et rester sur la Bande. Si la Nouvelle Apocalypse pouvait me suivre jusqu’ici, d’autres plus compétents le pourraient aussi.
En tant que sanctuaire, Vchira Beach était grillée.
Mari Ado a exprimé tout haut ce qui devait être l’opinion générale.
— C’est toi qui as tout niqué, en apportant tes problèmes personnels avec toi. À toi de trouver une solution.
Alors je l’ai fait.
La compétence des Diplos, direct du manuel – travailler avec les outils qu’on a. J’ai fouillé dans mon environnement immédiat, trouvé ce que j’avais qui pouvait être influencé, et je l’ai vu tout de suite. C’étaient des conneries personnelles qui avaient fait les problèmes, et c’est ça qui nous sortirait du marigot, et résoudrait aussi pas mal de mes problèmes personnels dans le même temps. Avec une ironie qui m’a bien fait sourire.
Tout le monde n’a pas trouvé ça très amusant. Surtout Ado.
— Faire confiance à ces putains de haiduci ? (Ses paroles avaient un ton de mépris tout droit venu de Millsport.) Non merci.
Sierra Tres a haussé les sourcils.
— On les a déjà utilisés, Mari.
— Non, toi, tu les as déjà utilisés. Moi, je reste le plus loin possible de ces pourritures. Et de toute façon, celui-là, tu ne le connais pas.
— J’ai entendu parler de lui. J’ai eu affaire à des gens qui ont dealé avec lui, et à ce qu’on m’a dit, c’est un homme de parole. Mais je peux toujours vérifier. Tu dis qu’il te doit quelque chose, Kovacs ?
— Plutôt, oui.
— Alors ça devrait aller.
— Oh bon Dieu, Sierra. Tu n’es pas…
— Segesvar est solide, ai-je interrompu. Il prend ses dettes au sérieux, dans les deux directions. Il suffit d’avoir de l’argent. Si vous en avez.
Koi a regardé Brasil, qui a opiné de la tête.
— On peut l’avoir assez facilement, oui.
— Oh putain ! Joyeux anniversaire, Kovacs !
Virginia Vidaura a fait taire Ado d’un regard.
— Tu vas la fermer, Mari ? C’est pas ton argent. Ça, c’est bien à l’abri dans une banque d’affaires de Millsport, non ?
— Qu’est-ce que tu…
— Assez !
Koi avait crié, et ça a eu l’effet escompté. Sierra Tres est partie passer quelques coups de fil depuis les autres pièces dans le couloir, et nous sommes retournés au construct de carto. Dans l’environnement virtuel accéléré, Tres est restée absente toute la journée – soit dix minutes en temps réel. Dans un construct, on peut utiliser le différentiel temps pour passer trois ou quatre coups de fil en même temps, en passant de l’un à l’autre dans les minutes que représentent les blancs de quelques secondes d’une conversation humaine. Quand Tres est revenue, elle avait d’autres infos sur Segesvar pour confirmer ses impressions d’origine. C’était un haiduci à l’ancienne, du moins de son propre avis. Nous sommes retournés à la chambre d’hôtel et j’ai composé le code au téléphone, avec haut-parleur et sans visuel.
La ligne était mauvaise. Segesvar parlait dans un océan de parasites, en partie dus aux variations d’ajustement réel/ virtuel, et en partie à autre chose. À quelqu’un qui criait, peut-être.
— Je suis un peu occupé, là, Tak. Tu peux me rappeler plus tard ?
— Ça te dirait d’effacer mon ardoise, Rad ? Tout de suite, transfert direct par une autorisation discrète. Plus le même montant, en prime.
Le silence a duré plusieurs minutes en virtuel. Peut-être trois secondes d’hésitation à l’autre bout de la ligne.
— Ça m’intéresserait beaucoup. Montre-moi l’argent, et on pourra discuter.
Un coup d’œil pour Brasil, qui m’a montré sa main grande ouverte et a quitté la pièce sans un mot. J’ai fait un rapide calcul.
— Vérifie ton compte, ai-je dit à Segesvar. L’argent sera là dans une dizaine de secondes.
— Tu m’appelles d’un construct ?
— Va vérifier ton solde, Rad. Je t’attends.
Le reste a été facile.
Dans un virtuel de séjour court, on n’a pas besoin de dormir, et la plupart des programmes ne prennent pas la peine d’inclure des routines de sommeil. Bien sûr, à long terme, ce n’est pas sain. Si on reste trop longtemps dans un construct de séjour court, on commence à perdre l’esprit. Au bout de quelques jours, les effets ne sont que… bizarres. Comme se bourrer à la fois au tétrameth et à une drogue de concentration comme le Sommet ou le Synagrip. De temps en temps, on a la concentration qui se bloque comme un moteur serré, mais il y a un truc. On fait l’équivalent mental d’une balade, on lubrifie ses pensées avec quelque chose qui n’a aucun rapport, et tout va bien. Comme pour le Sommet ou le Synagrip, on peut commencer à trouver un certain plaisir dans l’accumulation de ce gémissement focal.
Nous avons travaillé trente-huit heures d’affilée, à aplanir les angles du plan d’assaut, à mener des scénarios « et si… », et à nous chamailler. Il y en avait souvent un pour lancer un grognement exaspéré, se laisser tomber en arrière dans le mètre d’eau et partir en dos crawlé vers l’horizon. Si on choisissait bien l’angle de sortie et qu’on ne se cognait pas dans un îlot oublié ou qu’on ne s’égratignait pas sur un banc de corail, c’était une façon idéale de décompresser. À flotter là, avec la voix des autres qui s’estompait au loin, on sentait sa conscience se ramollir, comme une crampe qui se détend.
À d’autres moments, on pouvait avoir un effet similaire en s’extrayant complètement pour retourner à la chambre d’hôtel. Il y avait à manger et à boire en abondance, et bien que rien de tout cela n’atteigne jamais votre estomac, les sous-routines gustatives et alcooliques avaient été incluses avec soin. On n’avait pas plus besoin de manger que de dormir dans le construct, mais l’acte de consommer nourriture ou boisson conservait son effet apaisant. Un peu après les trente heures, je me suis retrouvé tout seul devant un plat de sashimis de baleine à bosse que je faisais descendre avec du saké de Safran, quand Virginia Vidaura est apparue devant moi.
— Ah, tu es là, a-t-elle dit avec une étrange légèreté dans le ton.
— Je suis là.
— Ça va, ta tête ?
— Elle refroidit. (J’ai levé ma tasse de saké.) Tu en veux ? Le meilleur nigori de l’archipel Safran, apparemment.
— Tak, tu ne devrais pas croire tout ce qu’on dit sur les étiquettes.
Mais elle a pris la flasque, fait apparaître une autre tasse dans sa main et s’est servie.
— Kampai.
— Por nosotros, ai-je répondu.
Nous avons bu. Elle s’est posée dans l’automoulant en face de moi.
— Tu essaies de me donner le mal du pays ?
— Je ne sais pas. Tu essaies de te fondre dans la masse ?
— Ça fait plus de cent cinquante ans que je n’ai pas mis les pieds sur Adoracion, Tak. Chez moi, c’est ici, maintenant.
— Oui, tu as l’air bien intégrée dans la vie politique locale.
— Et celle de la plage.
Elle s’est reculée un peu dans l’automoulant et a passé une jambe par-dessus l’accoudoir. Elle était finement musclée et bronzée par la vie sur Vchira, et le maillot de bain en polalliage vaporisé en montrait toute la longueur. J’ai senti mon pouls se mettre à battre.
— Très belle, ai-je admis. Yaros a dit que tu avais tout dépensé pour cette enveloppe.
Elle a paru se rendre compte de la nature particulièrement sexuelle de sa position, et a redescendu la jambe. Elle a pris son saké à deux mains et s’est penchée en avant.
— Qu’est-ce qu’il t’a dit d’autre ?
— Eh bien, la conversation n’a pas été très longue, je voulais juste savoir où tu étais.
— Tu me cherchais.
— Oui. (Quelque chose m’a arrêté à cette simple affirmation.) Oui, en effet.
— Et maintenant que tu m’as trouvée ?
Mon pouls s’était calmé, mais restait profond dans ma poitrine. Le gémissement du séjour prolongé dans le virtuel était revenu. Virginia Vidaura, le regard dur, le corps plus dur encore, formatrice diplo inaccessible, devant nous à la présentation, un rêve d’efficacité féminine que personne ne pourrait toucher. Des éclats de joie dans une voix et des yeux qui auraient pu faire naître le désir dans une relation moins clairement définie. Une tentative de flirt douloureusement maladroite de la part de Jimmy de Soto, au mess, écrasée avec un désintérêt brutal. Une autorité maniée sans la moindre tension sexuelle. Mes propres fantasmes frustrés, peu à peu aplatis par un respect immense, aussi enraciné que l’induction diplo.
Puis les combats, dissipation finale des moindres effluves romantiques qui auraient pu résister aux années d’entraînement. Le visage de Vidaura dans une dizaine d’enveloppes, sur une dizaine de mondes, souligné par la douleur ou la rage ou juste la concentration extrême des missions. La puanteur de son corps pas lavé depuis trop longtemps dans la navette confinée sur la face cachée de la lune de Lokyo, son sang poisseux sur mes mains par une nuit assassine de Zihicce où elle a failli mourir. Son regard quand est arrivé l’ordre d’éliminer toute résistance sur Neruda.
Je croyais que ces moments nous avaient amenés au-delà du sexe. Ils paraissaient puiser dans des émotions qui rendaient la baise assez quelconque. La dernière fois que j’étais venu sur Vchira Beach et avais vu la façon dont Brasil se penchait vers elle, subjugué par son ascendance d’Adoracion, j’avais ressenti une certaine supériorité. Même avec Yaroslav et l’engagement à long terme, parfois interrompu, qu’ils avaient entretenu, j’avais toujours cru qu’il n’arrivait pas au noyau dur de cette femme aux côtés de qui j’avais lutté sur plus de planètes du Protectorat que la plupart des gens en voyaient jamais.
J’ai adopté un regard interrogateur qui m’évoquait une cachette.
— Tu penses que c’est une bonne idée ? ai-je demandé.
— Non, a-t-elle répondu d’une voix voilée. Et toi ?
— Hmm… Honnêtement, Virginia, je m’en fiche de plus en plus, depuis cinq minutes. Mais ce n’est pas moi qui ai des liens avec Jack Soul Brasil.
Elle a ri.
— Ça ne le dérangera pas. Ce n’est même pas vrai, Tak. Et de toute façon, il ne le saura jamais.
— Il pourrait apparaître n’importe quand. Lui ou un autre, d’ailleurs. Je préfère ne pas me donner en spectacle.
— Moi non plus. (Elle s’est levée et m’a tendu la main.) Viens par ici.
Elle m’a tiré hors de la pièce. Dans le couloir, dans les deux directions, des portes identiques se faisaient face de part et d’autre du tapis gris, et se perdaient dans une brume grise après une dizaine de mètres. Main dans la main, nous sommes allés tout au bord de ce flou, sentant le léger froid qui s’en exhalait, et Vidaura a ouvert la dernière porte à gauche. Nous nous sommes glissés à l’intérieur, déjà serrés l’un contre l’autre.
Il ne faut pas longtemps pour arracher du polalliage vaporisé. Cinq secondes après que la porte s’était refermée, elle m’avait fait glisser le short sur les chevilles et mon gland durcissait rapidement entre ses paumes. Je me suis dégagé avec un effort, lui ai fait glisser le maillot des épaules et ai tiré le tout jusqu’à sa taille, puis appuyé une paume contre son entrecuisse. Son souffle s’est crispé, et ses abdos ont ondulé. Je me suis agenouillé, forçant le maillot à descendre un peu plus, sur ses hanches et le long de ses cuisses jusqu’à à ce qu’elle puisse s’en dégager facilement. Puis j’ai écarté ses lèvres avec les doigts, suivi le contour de son trou avec ma langue et me suis relevé pour l’embrasser. Un autre frisson l’a parcourue. Elle a aspiré ma langue et l’a mordillée, puis a posé les deux mains sur ma tête et m’a tiré en arrière. J’ai fait glisser mes doigts sur sa chatte chaude et humide et appuyé légèrement sur son clitoris. Elle a frissonné et m’a souri de toutes ses dents.
— Et maintenant que tu m’as trouvée ? a-t-elle répété alors que ses yeux commençaient à se brouiller. Et maintenant ?
— Maintenant, je vais voir si les muscles de tes cuisses sont aussi forts qu’ils le paraissent.
Ses yeux se sont illuminés, le sourire est revenu.
— Je vais t’écraser, a-t-elle promis. Je vais te casser en deux.
— Tu vas essayer, plutôt.
Elle a poussé un petit grognement affamé et m’a mordu la lèvre inférieure. J’ai passé un bras sous son genou et l’ai relevé. Elle a saisi mes épaules, passé l’autre jambe autour de ma taille, puis tendu la main vers ma queue et l’a emmenée dans sa chatte. Ce bref moment de conversation avait suffi à ce qu’elle soit tout à fait prête et humide. De ma main libre, je l’ai écartée davantage et elle s’est laissé tomber, hoquetant à la pénétration et allant et venant contre moi. Ses cuisses se sont refermées autour de ma taille avec la brutalité promise. Je nous ai fait pivoter pour m’appuyer contre un mur. Ai récupéré un semblant de contrôle.
De courte durée. Vidaura a raffermi sa prise sur mes épaules et a commencé à monter et descendre sur mon érection, son souffle se transformant en grognements qui ont grimpé rapidement dans les aigus à mesure qu’elle approchait de l’orgasme. Peu après elle, j’ai senti la tension de ma queue répandre sa chaleur jusqu’à la base. J’ai perdu le peu de contrôle que j’avais, empoigné ses fesses et l’ai fait bouger plus fort sur moi. Au-dessus de mon visage, ses yeux fermés se sont ouverts d’un coup et elle m’a souri. Le bout de sa langue est sorti et a touché ses dents du haut. J’ai ri, crispé. C’était une lutte, Vidaura tendant le ventre vers l’avant et les hanches vers l’arrière, ramenant mon gland jusqu’à l’ouverture de sa chatte et les terminaisons nerveuses qui y étaient massées, mes mains la rabattant et essayant de m’enfoncer en elle jusqu’à la garde.
Le combat s’est dissous en une avalanche sensorielle.
La sueur naissant sur nos peaux, glissant dans nos mains serrées…
Sourires durs et baisers qui rappelaient plus une morsure…
Le souffle complètement affolé…
Mon visage, enterré dans le renflement de ses seins et la peau qui les séparait, glissante de sueur…
Sa joue remontant le long de ma tête…
Un moment d’agonie où elle s’est soulevée sur moi de toutes ses forces…
Un cri, peut-être d’elle, ou de moi…
… puis le jaillissement liquide de la libération, et l’effondrement, frissonnants et glissants le long du mur en un tas de membres affalés et de corps pris de sursauts.
Épuisés.
Après un long moment, je me suis hissé sur le coude, et ma queue flasque a glissé d’elle avec peine. Elle a bougé une jambe et gémi. J’ai essayé de nous trouver à tous les deux une position plus tenable. Elle a ouvert un œil et a souri.
— Alors, soldat, ça faisait longtemps que ça vous titillait ?
— Depuis toujours, c’est tout. Et toi ? ai-je répondu avec un sourire.
— L’idée m’avait traversée une ou deux fois, oui. (Elle a poussé contre le mur des deux pieds et s’est appuyée sur les coudes. Son regard a suivi la courbe de son corps, puis remonté le mien.) Mais je ne baise pas les recrues. Bon sang, regarde le bordel qu’on a mis.
J’ai touché son ventre couvert de sueur, descendu un doigt jusqu’à sa fente. Elle a sursauté, j’ai souri.
— Tu veux une douche, alors ?
— Oui, je pense qu’il vaut mieux.
Nous avons recommencé à baiser sous la douche, mais nous n’avions plus la force frénétique qui nous habitait la première fois, et nous n’avons pas pu rester appuyés. Je l’ai portée jusque dans la chambre et l’ai étendue trempée sur le lit. Je me suis agenouillé près de sa tête, l’ai tournée gentiment et ai guidé sa bouche jusqu’à ma queue. Elle a sucé, doucement au début puis avec de plus en plus d’énergie. Je me suis allongé à côté de son corps musclé, ai renversé la tête et ouvert ses cuisses. Puis j’ai glissé un bras autour de sa taille, attiré sa chatte vers mon visage et me suis mis au travail de la langue. Et la faim est revenue d’un coup, comme une rage. On aurait dit que mon ventre était plein de fils électriques à nu. Sur le lit, elle poussait des cris étouffés, a roulé sur elle-même pour se placer au-dessus de moi, sur les genoux et les coudes. Ses hanches et ses cuisses m’écrasaient, sa bouche s’activait sur mon gland pendant que sa main pompait à la base.
Il nous a fallu un long moment, plein de lenteur et de frissons. Sans aide chimique, nous ne nous connaissions pas assez pour un orgasme vraiment simultané, mais le conditionnement diplo, ou peut-être autre chose, compensait ce manque. Quand j’ai fini par éjaculer au fond de sa gorge, la force de ma jouissance m’a redressé d’un coup contre son corps, et par pur réflexe j’ai passé les deux bras autour de ses hanches. Je l’ai attirée sur moi, ma langue s’activant frénétiquement. Elle m’a recraché alors que je coulais encore et a crié son orgasme avant de s’effondrer sur moi, prise de frissons.
Mais peu de temps après, elle s’est laissé glisser, s’est assise en tailleur et m’a regardé sérieusement, comme si j’étais un problème qu’elle n’arrivait pas à résoudre.
— Je pense que ça doit suffire. On ferait mieux d’y retourner.
Plus tard, j’étais sur la plage avec Sierra Tres et Jack Soul Brasil, à regarder les derniers rayons du soleil teinter de cuivre les flancs de Marikanon, à me demander si j’avais fait une erreur quelque part. Je n’étais pas assez lucide pour le savoir. Nous étions allés dans le virtuel avec les relais physiques coupés, et malgré toute la délivrance sexuelle que j’avais eue avec Virginia Vidaura, mon corps réel était encore chamboulé d’hormones accumulées. Au moins à un niveau, tout ça aurait aussi bien pu ne jamais avoir eu lieu.
J’ai jeté un coup d’œil discret à Brasil et me suis posé de nouvelles questions. Brasil, qui n’avait eu aucune réaction visible quand Vidaura et moi étions revenus dans le construct de carto à quelques minutes l’un de l’autre, chacun d’un côté de l’archipel. Brasil, qui avait travaillé avec la même application calme, bonhomme et élégante jusqu’à boucler l’expédition et le repli. Qui avait avec naturel posé une main sur les reins de Vidaura et m’avait souri avant qu’ils disparaissent du virtuel avec une coordination qui en disait long.
— Tu vas récupérer ton argent, tu sais, lui ai-je dit.
Brasil a sourcillé, agacé.
— Je sais, Tak. Ce n’est pas l’argent qui m’inquiète. On aurait pu régler ta dette avec Segesvar, si tu nous l’avais demandé. On peut encore le faire – disons que c’est une prime pour ce que tu nous as apporté, si tu veux.
— Ce ne sera pas nécessaire, ai-je répondu d’un ton raide. Je considère que c’est un prêt. Je vous rembourserai dès que les choses se seront calmées.
Un hoquet de Sierra Tres. Je me suis tourné vers elle.
— Il y a quelque chose qui te fait rire ?
— Oui. L’idée que les choses pourraient se calmer prochainement.
Nous avons regardé la nuit ramper sur la mer jusqu’à nous. Du côté sombre de l’horizon, Daikoku s’est hissée à l’air libre pour rejoindre Marikanon dans le ciel à l’ouest. Un peu plus loin sur la plage, le reste de l’équipe de Brasil se faisait un feu de joie. Les rires fusaient autour de la pile de bois flotté, et les corps gambadaient à contre-jour. Comme pour étouffer les inquiétudes que Sierra ou moi pouvions avoir, il régnait un grand calme à cette soirée, aussi fraîche et douce que le sable sous nos pieds. Après les heures furieuses passées en virtuel, il n’y avait rien à dire ou à faire jusqu’au lendemain. Et pour le moment, demain était encore de l’autre côté de la planète, comme une vague profonde qui prenait de l’élan. Je me suis dit qu’à la place de Koi, j’aurais cru sentir l’histoire en marche retenir son souffle.
— Donc, personne ne va aller se coucher tôt, j’imagine, ai-je dit en désignant les préparatifs.
— On pourrait tous être Vraiment Morts dans quelques jours, a dit Tres. On dormira à ce moment-là.
D’un coup, elle a retiré son tee-shirt. Ses seins se sont soulevés puis sont retombés dans le même mouvement. Je n’avais pas besoin de ça. Elle a lâché le tee-shirt dans le sable et a couru vers la mer.
— Je vais nager. Vous venez ?
J’ai regardé Brasil. Qui a haussé les épaules et l’a suivie.
Je les ai vus atteindre les vagues et plonger, puis partir vers des eaux plus profondes. À une dizaine de mètres, Brasil a de nouveau plongé, est sorti de l’eau presque immédiatement et a crié vers Tres. Elle s’est retournée vers lui, l’a écouté un moment, puis a plongé. Brasil l’a imitée. Ils sont restés une bonne minute sous l’eau, puis sont ressortis avec force éclaboussures à près de cent mètres de la plage. Je me serais cru en train de regarder les dauphins au large du récif d’Hirata.
J’ai tourné à droite et suivi la plage vers le feu de camp. Les gens m’ont salué d’un hochement de tête, certains ont même souri. Daniel, à mon étonnement, a levé les yeux du petit groupe d’inconnus avec qui il se trouvait, et m’a tendu une flasque. Difficile de refuser. J’ai pris une bonne gorgée et toussé en sentant la vodka, assez dure pour être maison.
— C’est du costaud, ai-je sifflé en lui rendant.
— Oui, ce qu’on trouve de mieux de ce côté-ci de la Bande. Assieds-toi, reprends-en. Voici Andrea, ma meilleure amie. Hiro. Attention à lui, il est beaucoup plus vieux qu’il y paraît. Il était déjà à Vchira avant ma naissance. Et ça, c’est Magda. Un peu garce, mais gérable quand on la connaît.
Magda lui a flanqué une tape amicale sur la tête et s’est approprié la flasque. Faute d’avoir autre chose à faire, je me suis assis avec eux. Andrea s’est penchée et a voulu me serrer la main.
— Je voulais vous remercier pour ce que vous avez fait, a-t-elle murmuré dans un amanglais à l’accent de Millsport. Sans vous, on n’aurait jamais su qu’elle était encore en vie.
Daniel a acquiescé, la vodka donnant à son mouvement une solennité exagérée.
— C’est vrai, Kovacs-san. Je n’aurais pas dû dire ce que j’ai dit à votre arrivée. En fait, et je vous le dis comme je le pense, je vous prenais pour un arnaqueur. Venu nous baiser la gueule, vous voyez. Mais maintenant, avec Koi, bon sang, on est partis. On va renverser toute cette putain de planète.
Murmures d’assentiment, un peu trop fervents à mon goût.
— On va leur faire un deuxième Ébranlement, mais un vrai, cette fois, a dit Hiro.
J’ai repris la flasque. La deuxième fois, ce n’était pas si désagréable. Mes papilles devaient encore être sous le choc.
— Elle est comment ? a demandé Andrea.
— Ah. (Une image de la femme qui pensait être Nadia Makita a traversé mon esprit. Le visage en plein orgasme. Le cocktail dangereux d’hormones qui me traversaient a failli déborder.) Elle est… différente. C’est difficile à expliquer.
Andrea a opiné de la tête, heureuse.
— Vous avez de la chance. De l’avoir rencontrée. De lui avoir parlé.
— Toi aussi, tu pourras le faire, bientôt, a répondu Daniel d’une voix un peu pâteuse. Bientôt, on va la reprendre à ces enfoirés.
Un cri de joie approximatif. Quelqu’un allumait le feu.
Hiro a opiné du chef, sévère.
— Oui. On va leur montrer, aux Harlanites. À toutes les saloperies des Premières Familles. La vraie mort arrive…
— Ça va être trop bon, a soufflé Andrea en regardant les flammes monter. D’avoir enfin quelqu’un qui saura quoi faire.